✍️ Quoi de mum?, c’est la newsletter parentalité, féminisme et pop culture qui décrypte la condition des parents en 2025. Nous, Pauline Verduzier et Clémentine Gallot, vous racontons nos galères de mères et nos réflexions politiques à travers des essais personnels, des interviews et des recos culturelles, toutes les deux semaines.
Cette semaine, Pauline nous parle des interstices surprenants dans lesquels elle a réussi à écrire depuis qu’elle est mère.
Enceinte, j’ai signé un contrat d’édition pour écrire un nouvel essai. J’avais déjà publié en 2020 Vilaines filles (éd. Anne Carrière), une enquête journalistique sur le travail du sexe. J’ai toujours eu le désir de publier des livres à côté de mon travail de journaliste, pour aller au bout d’une idée ou d’une obsession. Mais ce désir s’est souvent heurté à des principes de réalité qui découragent bien des velléités d’écriture. À part pour quelques élu·es, publier des livres ne rapporte pas d’argent, ou pas assez. Or cela demande énormément de travail, donc de temps. Écrire crée aussi de la frustration, le sentiment que les mots nous résistent, et un niveau de détestation de soi qui naît en se relisant qu’il faut pouvoir supporter.
Imaginez donc ce qu’il se passe quand on ajoute un enfant en bas âge dans l’équation. Le temps disponible se rétrécit, le temps à soi encore davantage et le temps d’écriture, si on n’y est pas viscéralement attaché·e, se réduit à peau de chagrin. Il faut être porté·e par une forme d’acharnement pour continuer à se dédier à des livres, qui drainent toute notre énergie sans aucune garantie de succès. Ou alors, cela arrive quand l’écriture tient lieu d'espace à soi. Quand c’est presque un endroit de survie. L’écriture ne répare rien, mais elle sublime certaines expériences douloureuses.
Comment j’ai écrit en post-partum, tout sauf le livre que je devais rendre
J’ai signé mon contrat d’édition en me disant que j’avais neuf mois devant moi et que je pourrais toujours continuer à écrire pendant mon "congé" maternité ce nouvel essai, qui porte sur un sujet lié à la sexualité. Je ne savais pas encore à quel point je m’illusionnais. Je suis extrêmement privilégiée dans ma vie, mais l’abnégation totale que j’ai vécue face à un bébé qui ne dormait que sur moi, ne quittait jamais mon torse et tétait en continu, m’a fait toucher un dénuement et une solitude qui m’ont éprouvée. Les photos en témoignent: je maigrissais au fil des mois, mes cernes se creusaient. À aucun moment, je n’aurais pu consacrer mon esprit à travailler sur un texte destiné à être publié.
Paradoxalement, je n’ai jamais autant écrit de ma vie, tout sauf le livre que je devais écrire. Allongée sur le côté, j’ai trouvé une position pour que ma fille tète et s’endorme sur un matelas au sol pendant que j’avais les mains libres. De jour, comme de nuit, je ne pouvais pas m’éloigner, sinon elle se réveillait. Derrière sa petite tête, mon ordinateur était posé sur un oreiller, ou alors je pianotais sur mon téléphone. Il y a eu beaucoup de temps d’écran au moment des couchers, mais c’était ça ou finir à l’HP. Je n’ai pas écrit l’essai que j’étais censée rendre à ma maison d’édition et dont j’avais déjà dépassé la deadline. Je tapais frénétiquement, avec le peu de force qui me restait, le flux de ma pensée immédiate. Tout ce qui tournait dans ma tête au bord de l’explosion. Toute la rage contenue d’être déchirée entre l’amour maternel et la sensation que plus aucune de mes limites n’était respectée. J’ai noirci des pages et des pages et elles ont un peu allégé mes souffrances psychiques. C’était presque agréable, de vivre cette forme de créativité inattendue, qui prenait la forme d’un défouloir sans aucun cadre, sans aucune attente à remplir autre que me déverser. C’était impubliable en l’état, mais ce document Word a été une des rares choses à me rappeler que j’avais encore une existence propre. Dans le film Nightbitch de Marielle Heller (dont on vous a déjà parlé), l’artiste en post-partum jouée par Amy Adams semble revivre, le jour où elle s’autorise à retrouver son atelier. Elle exulte, presque étonnée d’avoir encore des choses à raconter avec ses mains et avec sa tête.
J’ai écrit quand c’était possible, dans des espaces ou des temporalités improbables
L’essayiste Mona Chollet a raconté au micro de Lauren Bastide dans le podcast Folie douce qu’elle dispose des conditions matérielles dont rêve toute écrivaine: elle est libre de son temps, sans enfant ni adulte à qui rendre de compte, sans devoir accomplir un travail salarié pour gagner sa croûte car elle la gagne déjà avec ses ventes, sans besoin de consacrer ce temps à autre chose qu’elle-même ou à son écriture. Elle dit qu’elle a accompli son rêve, mais que cela vient aussi avec un vertige, une pression, une culpabilisation constante. Rien n’est jamais confortable dans l’esprit des femmes qui écrivent.
Après la naissance de ma fille, j’ai arrêté de travailler pendant huit mois. Et puis le travail a repris, j’ai dû regagner de l’argent et c’était angoissant car je suis indépendante. Je ne pouvais pas me remettre à mon essai pendant six mois et ne faire que cela. C’était impossible financièrement. J’ai failli jeter l’éponge, j’ai même envisagé de rembourser mon à-valoir. C’est alors qu’a commencé une nouvelle forme d’écriture, cette fois-ci pour être publiée, qui était bien loin de mes habitudes de bonne élève. J’ai écrit mon essai quand c’était possible. C’est-à-dire dans des espaces ou des temporalités improbables, interstices dans un emploi du temps qui n’est plus à moi, dans les rares moments où je ne me sentais pas envahie.
J’ai écrit les samedis après-midi à la bibliothèque municipale sur une sorte de petit tabouret à côté du rayon enfants (faute de place disponible dans la salle d’étude), avec en fond sonore ma musique et les babillages. J’ai écrit pendant les vacances de Noël, quand ma fille dormait ou qu’elle était avec son père ou ses grands-parents, et je vous jure que ces quelques heures quotidiennes passées sur mon ordinateur m’apportaient une bouffée d’air, même si je ne prétendrai jamais que travailler en vacances est souhaitable. C’est juste que c’était le seul moment où les notifications se calmaient, où le travail qui rapporte de l’argent était mis entre parenthèses et me laissait l’espace de penser. Quand j’ai recommencé à gagner ma vie en tant que free-lance, j’ai pu écrire quelques heures en semaine dans mon appartement quand ma fille était à la crèche ou à mon bureau partagé de pigistes, luxe suprême.
Écrire en écoutant des comptines pour enfants
J’ai écrit en voiture, quand mon mec conduisait, parce que c’était calme. Ma fille de 2 ans adore la voiture, elle peut rester des heures à écouter des comptines dans son siège auto, le regard rêveur. Même si la playlist me rend zinzin, ce sont de longues plages horaires sans être dérangée, sans distraction, c’est comme une bulle. J’ai l’impression d’être une ministre qui rattrape ses mails pendant qu’elle se fait conduire à son prochain meeting, c’est rigolo.
J’ai écrit comme je pouvais, de façon fragmentée. J’ai parfois écrit tous les jours sur des périodes courtes, puis plus rien pendant des mois. J’ai explosé ma deadline. J’ai mis presque un an à rendre la deuxième version de mon livre. Avec beaucoup de honte et de dépréciation de soi. Pour la première de la classe que j’ai été, ça n’a pas été indolore de ne pas réussir à finir mon travail dans le cadre imparti. Je me suis dit que j’y avais désormais passé trop de temps et trop de pensées négatives pour que l’issue en soit positive. Que ma vie, ce serait cela désormais, l’incapacité à tenir mes engagements, la condamnation à décevoir tout le monde. Mais j’ai quand même continué à écrire parce que me mettre à ma table et me concentrer sur mon manuscrit me semblait une activité si stimulante que j’y voyais tout sauf du temps perdu. Mon éditrice a eu la délicatesse de me faire des retours exigeants et justes, sans me mettre de pression de calendrier. En attendant, je me comparais à toutes celles que je voyais annoncer sur les réseaux sociaux de nouveaux livres à paraître, comme on annonce une grossesse. J’essayais de savoir: avaient-elles des enfants en bas âge? Comment faisaient-elles?
La créativité naît aussi de certaines contraintes
C’est un enjeu de taille de disposer de temps et d’une pièce qui soit véritablement à soi quand on est une femme, je ne vous apprends rien. L’écrivaine Deborah Levy a écrit sur cet enjeu dans Le Coût de la vie (éd. du Sous-sol), où elle décrit sa condition de romancière déclassée socialement après son divorce, la vie dans un logement londonien mal chauffé avec ses deux filles, puis la bénédiction d’une cabane de jardin qu’on lui prête pour écrire.
La créativité naît aussi de certaines contraintes. La dessinatrice et autrice Marion Fayolle a dit en interview dans Le Book Club sur France Culture avoir écrit un recueil de poésie sur son téléphone, assise dans le noir à côté du lit de son enfant pendant les couchers qui duraient une éternité. Elle l’a vu comme un moment que son fils lui offrait, plutôt que comme un "moment volé". À la base, elle écrivait pour ensuite dessiner ses idées. Ne pouvant dessiner dans la pénombre, elle avait opté pour les mots. Les mots sont restés. La parentalité l’avait donc mise sur la voie de la littérature. Une metteuse en scène m’a, elle, parlé du fait qu’elle se lève à 5 heures du matin pour écrire, quand son fils dort encore profondément. Je n’en suis pas à ce niveau de sacerdoce, mais je comprends l’attrait du silence et du calme absolus de la nuit (quoi que cela dépende aussi du sommeil de l’enfant…).
Pour relire mon manuscrit une énième fois avant de l’envoyer à mon éditrice, j’ai emprunté l’appartement de mon frère un week-end. J’ai lu jusqu’à minuit, j’ai mis mon réveil à 6 heures, j’ai relu jusqu’à midi. Je suis ressortie du studio avec l’impression d’avoir passé 24 heures à préparer un examen. Des relectures, il y en aura encore. Mais j’étais fière, légère. Le ciel de Paris était bleu clair. J’avais fini d’écrire, du moins pour cette fois, et j’allais retrouver ma petite fille.
🇵🇸 Il y a des personnes invisibles dans les espaces où l’on parle d’enfance et de parentalité: les Palestinien·nes. [Essai en english]
🗳️ À partir du 20 juin, 130 personnes (y compris des jeunes) vont participer en France à une convention citoyenne sur les “temps de l’enfant”, a annoncé Emmanuel Macron début mai (qui se souvient de l’idée de la rentrée le 20 août?). La recherche a pourtant déjà proposé des diagnostics et des pistes qui vont dans le sens, non pas d’une modification du calendrier des vacances d’été, mais plutôt des temps de repos sur l’année et la journée. Par exemple, faire débuter les cours plus tard pour respecter le rythme des ados, revenir sur la semaine de quatre jours ou encore consacrer les matinées aux enseignements les plus “coûteux” mentalement comme les maths et le français et l’après-midi à la musique ou au sport. On espère surtout que, contrairement à la convention climat, les recommandations qui émergent seront prises en compte.
🚩 Le premier ministre, François Bayrou, a été auditionné dans l’affaire Bétharram. À cette occasion, il a été interrogé sur la gifle qu’il avait administrée en public à un enfant en 2002: “une tape de père de famille”, selon lui. Comment les médias en parlaient-ils à l’époque? Et aujourd’hui? (On vous laisse deviner). Pour rappel, la loi du 10 juillet 2019 interdit les violences éducatives ordinaires.
💲💲💲 Avec l’administration Trump 2.0, l’Europe devient une Terre Promise, y compris pour les parents qui rêvent de fuir. Un eldorado des droits sociaux qui n’est pas accessible à toustes. Surtout quand certain·es en profitent pour gratter des sous en vendant du rêve aux riches expatrié·es. [En english]
📱 Pendant ce temps, sur les internets, ce sont les mères de famille mormonnes de la télé-réalité The Secret lives of mormon wives qui font leur auto-promo (et leur placement de produits) sur le réseau social TikTok à coup de hashtag #MomTok. La beauté à l’ère Trump, c’est aussi le succès du hashtag #SkinnyTok qui incite les ados à la maigreur (pas nouveau depuis les blogs “pro-ana” ou pro-anorexie, mais inquiétant). Plutôt que d’interdire les réseaux sociaux, on attend quoi pour réguler les algorithmes?
☕ Do you know le babyccino? On a repéré à Paris des lieux de restauration proposant cette invention anglo-saxonne à destination des enfants: il ne s’agit pas de caféine pour bébé(!), mais d’un mini-capuccino décaféiné ou d’un petit lait chaud avec poudre de cacao. Bonne idée pour occuper les enfants au café sans commander une énorme tasse ou arnaque onéreuse? Le débat a déjà semé la discorde à l’étranger. [En english]
Pour les parents: Jeunes mères de Luc et Jean-Pierre Dardenne, avec Babette Verbeek, Elsa Houben… 1h45 (au cinéma) 🎦
Les vieux hommes blancs sont-ils les mieux placés pour parler de maternité solo? En tout cas, Jeunes mères (prix du scénario à Cannes), le beau nouveau film des frères Dardenne, est sobre et réussi. Celui-ci s’inspire d’un génial lieu d’accueil parent-enfant existant, La Maison Maternelle à Alleur, en Belgique, qui héberge des jeunes filles seules avec leurs bébés. Un long chemin parcouru depuis le stigmate de la “fille-mère” pour arriver jusqu’à la famille monoparentale.
Pour les enfants: Les graines de bébé ne poussent pas toutes d’Audrey Alwett et Victoria Dorche (éd. Panthera), disponible, 17e 📕
Parler d’IVG aux enfants, en voilà un épineux sujet. La question est abordée par cet album illustré sous forme d’une métaphore bucolique: en effet, chacun·e s’occupe de son jardin (et de son corps) et y fait pousser des arbres s’iel le souhaite. Car tout le monde n’a pas envie de jardiner… Une manière simple et respectueuse d’expliquer les choix intimes aux petit·es.
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À dans deux semaines! Parentalement vôtre…
Ca me parle beaucoup, j'ai deux filles (4 et 7 ans) et 8 livres, tous écrits depuis que je suis mère, à côté de mon travail de pigiste. J'en ai notamment écrit un en post-partum de ma deuxième fille (de ses 4 à 10 mois), alors que je la gardais à plein temps, que je rebossais à mi-temps et que je révisais / passais mon code à côté. Je ne sais toujours pas comme j'ai pu faire ça, ça me semble très déraisonnable 4 ans plus tard, et je sais que ma santé mentale en a pris un coup à ce moment-là. Mais paradoxalement c'est le livre dont je suis le plus fière, est-ce que le post-partum nourrit la créativité ? En tout cas, ça soulève de vraies questions : comment et quand donne-t-on aux mères des heures de liberté, notamment pour écrire ? La "chambre à soi" semble inaccessible quand on est une jeune mère.
Tellement intéressant ! Je suis justement en train de lire “Le mal joli”, d’Emma Becker. Elle décrit une scène hilarante, qui encapsule aussi très bien cette lutte. Un soir, elle tente d’écrire “pendant les sept minutes que ça prendra aux coquillettes de cuire”, avec pour fond sonore la télé et “les mélopées incessantes des enfants”… et elle résume très bien toute la dissonance qui existe entre mère de famille et écrivaine.