Cette semaine, on vous parle du récit collectif de la parentalité heureuse, du tabou du malheur parental et de la compétition maternelle. Pauline se demande pourquoi, quand on devient parent, on peut avoir la désagréable impression que tout le monde nous a menti.
Quoi de mum?, c’est la newsletter parentalité, féminisme et pop culture qui décrypte avec humour la condition des parents en 2025. Nous, Pauline et Clémentine, vous racontons nos galères de mères et nos réflexions politiques à travers des essais personnels, des interviews et des recos culture, toutes les deux semaines.
L’une de mes meilleures amies a accouché il y a quelques mois. Dans un message sur notre groupe WhatsApp de copines, elle nous a donné de ses nouvelles. “Honnêtement, je galère, c’est un tel bouleversement.” Puis, s’adressant à moi : “Pauline, je sais pas comment t’as fait. Tu donnais l’impression que c’était facile, du moins de l’extérieur.” Je suis tombée de ma chaise.
Je suis la première, parmi mes amies les plus proches, à avoir eu un enfant. J’ai eu à cœur d’être transparente sur mon vécu, de ne pas enjoliver la parentalité avec des phrases toutes faites, justement pour qu’elles ne m’accusent pas plus tard d’avoir travesti la réalité. Quand elles me demandent comment c’est, d’être mère, souvent, je dis que c’est l’Enfer et le Paradis en même temps. Ça peut paraître difficile à comprendre, mais l’un n’invalide pas l’autre.
Taper dans des coussins
Un mois après sa naissance, ma fille a souffert d’un reflux gastro-œsophagien qui la faisait hurler pendant des heures, durant lesquelles chaque minute de cris me transperçait les oreilles et le cœur. Pendant cinq mois, elle a dormi exclusivement sur ma poitrine, sinon elle ne dormait pas du tout. Le jour, je ne pouvais pas la poser. Pendant un an, j’ai vécu de multiples réveils nocturnes, nuit après nuit (à bientôt 2 ans, le sommeil n’est toujours pas un long fleuve tranquille). Au cours de son premier hiver en crèche, elle a chopé une otite toutes les deux semaines. J’ai broyé du noir, beaucoup pleuré, tapé dans des coussins d’épuisement. Certaines nuits, j’ai cru perdre pied.
Alors non, je ne me vois pas exactement comme une master queen du post-partum, l’enfant en écharpe et les joues rosies par le glow de la maternité heureuse. Oui, j’avais mon enfant en écharpe tout le temps, mais parce que c’était le seul moyen d’apaiser ses pleurs. Du coup, je me pose des questions. Est-ce l’image que j’ai renvoyée? Sur les réseaux, probablement, et peut-être aussi quand mes amies venaient à la maison, que je rangeais et me maquillais avant leur venue, pour masquer les traces de la dévastation ambiante? Ok, je plaide coupable pour les photos de moi postées sur Insta en train d’allaiter, tout-sourire, les cheveux au vent (photo de gauche), alors que mes soirées et mes nuits étaient synonymes de tétées multiples et de crampes à force de donner le petit doigt (photo de droite).
Photos non contractuelles
Les mains dans le caca
Mais peut-être que les gens n’entendent que ce qu’ils veulent bien entendre. Je me souviens de cette scène : je suis à bout, en train de quasi-chialer sur mon sort devant une pote enceinte, qui me dit : “Oh, mais ça a quand même l’air de super bien se passer pour vous !” Peut-être qu’on n’écoute jamais vraiment les parents avant de le devenir soi-même, car les réalités dont ils font état semblent trop abstraites, tant qu’on n’a pas soi-même les mains dans le caca. Je me souviens avoir été très en colère, après avoir accouché, contre certains couples de mon entourage (plutôt du “deuxième cercle”) qui étaient hystériques au moment de l’annonce de ma grossesse. Ceux qui disaient à quel point c’était “génial”, la “meilleure chose de la vie”, etc. Je me souviens de les avoir maudis pour cela, en découvrant ce que c’était vraiment que de ne pas dormir et d’être au service d’une petite personne aussi vulnérable.
Et puis d’autres détails me sont revenus. Par exemple, ce moment de flottement avec une amie sur la banquette arrière de la voiture, son bébé dans le siège auto en train de hurler à la mort. Elle avait une expression figée et douloureuse sur le visage. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris ce que cet air vide dans le regard voulait dire.
“De la joie pure”
Récemment, à un dîner, le conjoint d’une connaissance, parlant de sa petite fille, fanfaronnait : “C’est de la joie pure.” Je suis bien d’accord avec lui, mais enfin c’est un peu facile de dire cela quand on n’a pas accouché et que la société vous valorise pour la moindre couche changée. Quand mon propre mec m’a dit qu’il serait heureux si nous attendions des jumeaux pour une deuxième grossesse, je me suis demandé s’il n’était pas frappé d’amnésie ou s’il avait vécu avec un bandeau sur les yeux et un casque de chantier sur les oreilles durant les dix-huit derniers mois.
L’autre jour, j’ai croisé un couple au parc et j’ai fait une blague sur les difficultés de la parentalité. La mère m’a regardée, l’air de se désolidariser de mes propos : “Non mais moi j’aime bien, hein !” Et je me suis retrouvée à balbutier que moi aussi, j’aimais ça… Le tabou du malheur parental et la compétition maternelle sont-ils si forts qu’on ne puisse même plus se plaindre des gastros de nos gosses? En termes de libération de la parole sur la maternité, on est encore loin du compte.
Parler notamment du regret maternel, documenté par la sociologue Orna Donath dans Le regret d’être mère, est quasi impossible. Tabou ultime que celui de trouver son rôle de mère trop lourd à porter au point de “regretter” sa vie d’avant. Le dire serait un aveu d’échec et un manque de gratitude envers le “cadeau” de la maternité. Pourtant, devenir parent est aussi un moment de vulnérabilité propice aux dépressions et aux burn-outs, eux aussi de mieux en mieux documentés.
La solidarité entre parents doit commencer dès la conception
L’humoriste américain Andy Samberg parle très bien de cette impression de s’être fait berner par le récit collectif de la parentalité heureuse quand on accueille un enfant. Il raconte comment les parents s’extasient à l’annonce d’une future naissance en disant à quel point c’est magique et incroyable. Puis, à la seconde où le bébé arrive, tout le monde est en mode : “Bienvenue en Enfer!” Mais pourquoi n’avaient-ils rien dit auparavant? Because : “We wanted you to join us!” En gros, parce qu’ils étaient contents d’avoir de nouveaux partenaires de galère!
Je ne dis pas qu’il faut dégoûter les gens d’avoir des enfants, mais que la solidarité entre parents doit commencer dès la conception. Dire que ça peut être très dur, et que si ça l’est, on sera là pour l’autre, ne serait-ce que pour l’écouter, nous permettrait de questionner le récit dominant de la parentalité sans nuages, dans lequel les souffrances sont renvoyées au huis clos de la famille nucléaire.
Bon divorce!
Quand une femme m’annonce qu’elle divorce ou se sépare, je lui dis toujours “félicitations”, car j’imagine les étapes par lesquelles elle a dû passer et le courage que cela a dû demander pour en en arriver là. Pourquoi ne pas aller aussi à rebours des discours convenus sur la parentalité? À chaque nouvelle annonce de grossesse, on pourrait dire: “Félicitations! Bienvenue au Paradis… et en Enfer aussi.”
Japon. À Tokyo, les crèches deviennent gratuites en septembre. De quoi se réjouir, a priori, sauf qu’il s’agit en réalité d’une mesure visant à relancer la natalité, le pays comptabilisant 1,2 enfants par femme... Ça sent l’arnaque. Pas étonnant quand on sait que les femmes enceintes au Japon subissent souvent du “harcèlement à la démission” dans le cadre professionnel : c’est peut-être ces pratiques qui devraient d’abord être éradiquées.
On rappelle, à titre de comparaison, qu’en France, les frais de garde pour un plein temps, par semaine, s’élèvent entre 600 et 900 euros par mois (montant qui peut varier selon les revenus du foyer, le mode de garde choisi et les remboursements de la CAF).
Naissance. En parlant d’arnaque, vous l’avez sans doute remarqué si vous avez mis les pieds dans une maternité récemment, elles sont de plus en plus nombreuses à proposer les services d’un·e photographe pour immortaliser les nouveaux-nés fraîchement démoulés. Pourquoi pas, le résultat sera peut-être plus qualitatif que vos vieilles photos prises à l’arrache au smartphone d’une main tremblotante. Mais ces portraits “inoubliables” réalisés contre espèces sonnantes et trébuchantes peuvent coûter cher (700 euros, really?!) et, surtout, profiter de l’état de vulnérabilité des mères. Remboursé!
Racisme. Si cette sortie du ministre de l’Intérieur vous avez échappé, sachez que Bruno Retailleau a déclaré le 6 janvier au Parisien que les accompagnatrices de sorties scolaires “n’ont pas à être voilées”. Une déclaration faite dans le cadre d’un entretien réalisé sur le thème du terrorisme à l’occasion des dix ans de l’attentat contre Charlie Hebdo. Nicolas Cadène, l’ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité a réagi sur X : il a rappelé que “les parents accompagnateurs ne sont ni des élèves, ni des agents publics”, et ne sont donc pas soumis à la loi de 2004 ou au devoir de neutralité. Dans cette interview, Bruno Retailleau s’est aussi dit favorable à l’interdiction du voile à l’université. Bonne année, donc, sauf à Bruno.
Santé. À partir de cette année, un nouvel examen est obligatoire pour les enfants à l’âge de 6 ans. On n’a pas de blague à faire sur ce doss’.
Pour les parents 👓
Une grossesse ordinaire de Sushina Lagouje (ed. Double Ponctuation), 212 pages, 18 euros
Le titre de cet essai autobiographique est ironique: son autrice est atteinte de myopathie et son projet d’enfant s’est trouvé contrarié par plusieurs fausses couches, couplées aux discriminations de médecins validistes. Cette prof dans le civil a dû ruser pour trouver une sage-femme en fauteuil, affronter diverses maltraitances (les personnes à mobilité réduite n’ont en effet bien souvent pas accès à des gynécologues) et une grossesse à risque (accouchement prématuré, césarienne programmée… tout un programme réjouissant). C’est le récit de l’impro totale à laquelle elle a été confrontée dans le mood chaotique de la procréation et de l’handiparentalité.
Pour les enfants 🐥
Dehors dedans (ed. Lirabelle), 32 pages, 15 euros
C’est un album écrit par France Quatromme, éducatrice de jeunes enfants devenue conteuse professionnelle, et illustré par l'illustratrice brésilienne Bruna Barros. Ça parle d’une grossesse, c’est l’arrivée d’un deuxième enfant racontée à l’aîné, ce qu’il se passe au-dedans et au-dehors. Un récit poétique en peu de mots, magnifiquement mis en images par Bruna Barros.
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À dans deux semaines pour une bonne tranche de rigolade!
Mes enfants sont grands mais cela me rappelle quelques souvenirs où cette charge mentale me semblait tellement lourde et inégale…
Actuellement dans mon quotidien professionnel je renseigne régulièrement des parents et accompagne des personnes en parcours PMA et pour certains couples, la lecture de votre super newsletter serait une bénédiction… car pour ces derniers il est impossible de s’imaginer la parentalité autrement que par une vision paradisiaque tant le parcours leur a coûté sur tellement d’aspects…
Alors merci et bravo pour ce quoi de mum?🙏🏼
Que ça fait du bien de vous lire de bon matin après une nuit cassée de réveils multiples et de sessions d’allaitement . Bravo et hâte de lire la suite !