#8 Êtes-vous un parent toxique?
Cette semaine, on discute avec l'autrice Sophie Adriansen qui consacre un roman graphique à ce gros doss'.
✍️ Quoi de mum?, c’est la newsletter parentalité, féminisme et pop culture qui décrypte la condition des parents en 2025. Nous, Pauline Verduzier et Clémentine Gallot, vous racontons nos galères de mères et nos réflexions politiques à travers des essais personnels, des interviews et des recos culturelles, toutes les deux semaines.
Cette semaine, on reçoit l’autrice Sophie Adriansen. Sa nouvelle BD, Chère maman, met en scène Alix, une jeune femme aux prises avec une petite voix dans sa tête qui la dénigre constamment, celle de sa mère, mauvaise conscience qui plane au-dessus d’elle.
L’occasion de s’interroger: a-t-on eu des parents toxiques? D’ailleurs, ne le serait-on pas un peu soi-même? La malveillance parentale est-elle un reliquat d’une époque révolue? Serait-ce une manière de stigmatiser encore les mères? Que veut dire “toxique”, exactement? On peut questionner la manière dont le langage “psy” s’est immiscé dans notre quotidien (tout le monde est “PN” -pervers narcissique-, on a toustes un “style d’attachement” différent, etc.): en réalité, pour dire les termes, il s’agit de violences psychologiques.
Sophie Adriansen (crédit: Chloé Vollmer-Lo)
-Pourquoi vous être intéressée à ce sujet en particulier?
J’ai créé un personnage mais sinon, il s’agit de mon histoire personnelle. Il se trouve que je connais la dessinatrice (Mlle Caroline) depuis quinze ans et, entre nous, il y a le sujet de nos mères: on sait qu’on a des mères “pas faciles”…
-C’est-à-dire? Que recouvre exactement le terme “toxique” et quels sont les effets sur l’enfant, puis sur l’adulte?
Le terme de toxicité n’a aucune valeur clinique, il est d’ailleurs très galvaudé -on est tous le toxique de quelqu’un dans notre vie-: mais à cette échelle-là, c’est une forme de violence psychologique qui passe sous les radars. C’est comme une ombre qui plane, un jugement permanent. Il s’agit de ne surtout faire aucun compliment à son enfant, soi-disant pour son bien (sinon il va prendre la grosse tête): cela crée un déficit de confiance en soi à vie. Quand on est devenu adulte, on se prépare tout le temps à répondre aux critiques, on est dans l’anticipation: c’est-à-dire que le cerveau travaille en permanence pour se justifier, se défendre car rien n’est assez bien. Logiquement, on n’est pas non plus capable d’apprécier les succès ou les bonnes choses, même à la plus petite échelle. On tombe dans une quête perpétuelle de l’approbation, de la parole agréable, positive du parent. On peut se perdre dans cette quête-là, c’est vain.
(c) Chère Maman, Sophie Adriansen & Mademoiselle Caroline, éditions Glénat
-Comment en prendre conscience?
On ne le détecte pas toujours. Si on a décidé, en tant qu’adulte, de faire autrement que ce qu’on a vécu (car il y a d’autres options que cette méchanceté), ce qui est favorisé quand on a choisi un deuxième parent différent, cela peut permettre de prendre conscience des choix que la mère a faits à l’époque. Ce que j’ai constaté, c’est que notre propre maternité peut exacerber la toxicité du parent à notre égard: comme si quelque chose se rejouait, comme une projection.
-N’est-ce pas une énième façon de stigmatiser (encore) les mères?
Je pensais initialement qu’il y avait quelque chose qui se jouait dans le rapport mère-fille, mais depuis que la BD est sortie, j’ai rencontré des personnes qui me disent “cette mère, c’est mon père”: elles me parlent d’intrusivité, de jugement permanent, y compris dans le rapport aux enfants, ce n’est donc pas exclusivement le fait des mères.
-Les auteur·ices de violences ont souvent été elleux-mêmes victimes dans l’enfance…
En effet, je pense que ma mère est elle-même la fille d’une mère toxique. C’est aussi une question de génération, pour les personnes qui ont vécu la guerre, par exemple. Mais pour moi, cette explication ne vaut pas excuse. J’ai voulu distiller un tout petit peu d’éléments d’explication, mais on a le choix de remettre ce fonctionnement en question et de faire autre chose. Si moi j’en suis capable…
“Le message du parent toxique est toujours le même: “J’ai été plus malheureux que toi.””
-Comment ne pas transmettre ces comportements entre les générations? Faut-il prendre ses distances, couper les ponts?
Pour ma part, j’ai tenté plusieurs fois d’arrêter de parler à ma mère et c’est très difficile quand on a soi-même des enfants parce qu’on veut préserver un lien entre nos enfants et leurs grands-parents. J’ai essayé à plusieurs reprises, jusqu’à ce que je constate que la toxicité atteignait aussi mes enfants. Dans la BD, l’un des enfants dit qu’il sait que “grand-mère est méchante avec maman” -mon aîné me l’a dit aussi. Je me disais que je devais prendre sur moi, mais j’ai vu qu’elle cherchait à reproduire entre mes enfants la guerre qu’elle avait instillée entre ma soeur et moi. Et j’ai vu que mes enfants en souffraient aussi.
Couper les ponts n’est pas obligatoire, mais il faut arriver à se détacher émotionnellement. Même une seule visite par an chez sa mère peut être un concentré très pénible. Il ne faut pas oublier qu’on peut quand même rire à postériori des commentaires désagréables, voire en faire un bingo et compter les points. En tout cas, on peut décider que c’est nous qui fixons les règles et les paramètres de ce qui nous convient.
-Dans la BD, le personnage qui a cessé tout contact reçoit une lettre de sa mère, remplie de fiel et sans excuses…
Le coup de la lettre, ça m’est arrivé. Si on coupe court à la possibilité de communiquer, et qu’on ferme une porte, la personne force et essaye d’entrer par la fenêtre. Et le message du parent toxique est toujours le même: “J’ai été plus malheureux que toi.” Ce mode de communication nie l’existence de l’enfant devenu adulte, qui n’a jamais le droit d’exprimer quoi que ce soit ou de se plaindre.
-Quelles réactions a suscité ce livre?
La BD a aidé des gens autour de moi à comprendre pourquoi il n’y avait pas d’autre option pour moi que de couper les ponts et pourquoi il ne servait à rien d’essayer de ménager tout le monde. De la part du public, j’ai reçu de très nombreux messages de personnes ayant vécu la même chose que moi: je suis stupéfaite par les retours. C’est à la fois réconfortant et terrible.
Chère maman de Sophie Adriansen, dessiné par Mlle Caroline, éditions Glénat, 26 euros, disponible.
Pour aller plus loin:
Il existe 6 types de violences psychologiques: le rejet, l’isolement, le manque d’attention, la terreur, la corruption et l’exploitation.
Parmi les formes de maltraitance à l’encontre des enfants, la violence psychologique est la plus difficile à détecter.
Selon le Code Pénal, “les parents qui manquent à leurs obligations légales nées de l’autorité parentale au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de leur enfant mineur sont punis de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende”.
Pour signaler un cas de maltraitance infantile, appelez le 119.
Sur le sujet des violences psychologiques parentales, on vous recommande le roman Toutes les femmes sauf une de l’écrivaine Maria Pourchet, dans lequel la narratrice, qui vient d’accoucher d’une fille, lui raconte en pensées les phrases dénigrantes que lui adressait sa mère dans sa propre enfance.
ASE. Des travaux parlementaires et des témoignages alarmants, toujours plus nombreux, dénoncent l’état de décrépitude de l’Aide sociale à l’enfance. Pénurie de personnels qualifiés, établissements en sureffectifs, violences dans les familles d’accueil… Dans ce contexte, une enquête de StreetPress raconte comment des entreprises privées commencent à s’immiscer dans la protection de l’enfance pour prendre en charge des enfants dits “incasables”. Enfants livrés à eux-mêmes, encadrants pas formés: les intérêts financiers priment sur les droits des mineur·es pris·es en charge.
Flippant. Selon l’Insee, le taux de mortalité infantile a augmenté depuis 2011 en France. Un enfant sur 250 meurt avant son premier anniversaire. Les facteurs de risques sont notamment l’âge des mères (à noter que cela ne concerne pas que les grossesses dites “gériatriques” (sic), le risque étant également élevé pour les très jeunes mères), les grossesses multiples, le manque d’accès aux soins et la précarité.
Dérives sectaires. Dans un rapport, la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) alerte sur l’émergence d’une tendance inquiétante qui vise en particulier les mères épuisées, prêtes à tout pour se sentir moins seules. Cela concerne les pratiques de certains “thérapeutes” auto-proclamés, promettant de restaurer leur sommeil ou leur équilibre conjugal. Ces femmes vulnérables y laissent un rein, et le burn-out maternel est toujours là. Rendez l’argent!
Des cours anti-misogynie au Royaume-Uni. En Angleterre, comme chez nous, la diffusion de la série Netflix Adolescence, qui met en scène un jeune de 13 ans influencé par les discours masculinistes et accusé du meurtre d'une camarade, a fait grand bruit. La "masculinité toxique" inquiète de plus en plus parents et enseignants, face au succès de personnalités publiques comme Andrew Tate. Si, en France, les programmes d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) vont être mis en place à la rentrée prochaine, le Royaume-Uni, lui a son propre programme, RHSE, qui va être mis à jour l'an prochain, selon The Independent. Avec la particularité de proposer des cours sur le thème de la misogynie à destination des garçons. Not bad.
Pour les parents: Les enfants sacrifiés des pensionnats sanitaires de Fanny Marlier (éd. JC Lattès, disponible) 📖
Voilà une enquête inédite sur un scandale de maltraitance infantile (encore un, déso!). La journaliste s’est penchée sur le sort de milliers d’enfants envoyés, des années 1950 à 1980, dans des maisons de santé où ils et elles étaient abandonné·es à leur sort et violenté·es par le personnel médical. Le tout financé par la Sécurité sociale. Une manière sadique pour l’État de “dresser” des enfants issus des classes sociales les plus défavorisées…
Pour les ados: Le silence est à nous, de Coline Pierré (éd. Flammarion jeunesse, disponible) 📚
Léo est témoin d’une agression sexuelle dans son lycée et, face à l’inertie des adultes, décide d’entrer en résistance avec ses camarades. Surtout que le règlement de l’établissement décide de punir les élèves pour leurs tenues jugées inappropriées. À l’heure de la libération de la parole, la toute jeune héroïne de ce roman en vers libres prend le contre-pied des mobilisations féministes: ici, la force collective s’exprime par une grève des mots. Un manuel de résistance et de mobilisation à destination des jeunes gens, à mettre entre toutes les (petites) mains.
Cette semaine, on vous fait gagner ici un exemplaire du 5e trimestre - Bien vivre son retour de congé maternité: un guide pratique qui permet de préparer “l’après” et d’organiser son temps sans (trop) y sacrifier sa santé mentale. Si l’ouvrage vous parle, envoyez-nous un mail: quoidemum@gmail.com.
Les lecteur·ices de cette newsletter pourront aussi gagner un exemplaire lundi sur le compte Instagram de l’éditeur, Solar, auquel il suffit de s’abonner.
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À dans deux semaines! Parentalement vôtre…
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